Le Narrateur se souvient de l'enfant qu'il fut. L'attente du baiser maternel du soir, les déjeuners du dimanche chez tante Léonie, les cadeaux de la grand-mère. Il est fasciné par M. Swann, un ami de ses parents, amoureux fou d'une femme qui aime tout le monde sauf lui. Il tombe amoureux de sa fille, Gilberte, qui ne le rendra pas plus heureux. A travers ces scènes de vies - intimes ou mondaines, tragiques ou comiques - passent des impressions, des parfums, des visions. Des nymphéas à la surface d'une rivière, une madeleine oubliée dans une tasse de thé, des catleyas dans les cheveux d'une femme aimée, une bille d'agate offerte en gage d'amitié... Mais, une fois adulte, comment demeurer cet enfant émerveillé dans un monde que l'on ne reconnait plus, où l'amour est souffrance, où le désir est jalousie, où «le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant» ? Réminiscences de l'enfance perdue, roman d'amour impossible, satire de la haute société emprisonnée dans l'éphémère de la mode, mais aussi étude philosophique sur la mémoire involontaire : Du côté de chez Swann est tout cela à la fois.Qu'est-ce qu'un chef-d'oeuvre ? Un palais du souvenir, aux mille portes d'entrée, où chaque lecteur éprouve une émotion singulière, toujours renouvelée.
«Tout d'un coup, dans le petit chemin creux, je m'arrêtai touché au coeur par un doux souvenir d'enfance : je venais de reconnaître, aux feuilles découpées et brillantes qui s'avançaient sur le seuil, un buisson d'aubépines défleuries, hélas, depuis la fin du printemps. Autour de moi flottait une atmosphère d'anciens mois de Marie, d'après-midi du dimanche, de croyances, d'erreurs oubliées. J'aurais voulu la saisir. Je m'arrêtai une seconde et Andrée, avec une divination charmante, me laissa causer un instant avec les feuilles de l'arbuste. Je leur demandai des nouvelles des fleurs, ces fleurs de l'aubépine pareilles à de gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses. "Ces demoiselles sont parties depuis déjà longtemps", me disaient les feuilles.»
Sur la route qui mène de l'enfance à la vieillesse, des joies de Combray à la perte des illusions du Temps retrouvé, Le Côté de Guermantes signe la fin de l'adolescence. On y observe l'aristocratie parisienne à travers les yeux d'un jeune bourgeois. Deux amours impossibles et douloureuses s'y nouent : la passion du Narrateur pour Oriane de Guermantes, et celle de son ami Saint-Loup pour l'actrice Rachel. Le salon mondain est un microcosme qui révèle ce qui intéresse en profondeur le romancier : la lutte de l'intelligence contre la bêtise, la force de la confrontation des points de vue, la richesse de la fluidité des identités.
Le Côté de Guermantes est le témoignage mélancolique d'une époque en transition, qui court à la guerre de 1914. Le spectre de l'affaire Dreyfus plane sur tout le roman et en divise les acteurs. La lucidité et le pessimiste de Proust s'y expriment avec vigueur. Dénonçant le règne des apparences, le romancier met son extraordinaire talent d'observateur au service d'une satire sociale. Il fait de l'ironie une arme de combat, et de la méchanceté un art. Le Côté de Guermantes est le roman le plus drôle de toute la Recherche. Il est aussi le plus sombre : s'y jouent la maladie de la grand-mère du Narrateur, et celle de Swann. Mais par-dessus tout, c'est l'émerveillement devant le mouvement de la vie qui emporte le Narrateur et son lecteur.
À la recherche du temps perdu est une exceptionnelle comédie sociale. Le Côté de Guermantes en est la preuve éclatante.
«Les parties blanches de barbes jusque-là entièrement noires rendaient mélancoliques le paysage humain de cette matinée, comme les premières feuilles jaunes des arbres alors qu'on croyait encore pouvoir compter sur un long été, et qu'avant d'avoir commencé d'en profiter on voit que c'est déjà l'automne. Alors moi qui depuis mon enfance, vivant au jour le jour et ayant reçu d'ailleurs de moi-même et des autres une impression définitive, je m'aperçus pour la première fois, d'après les métamorphoses qui s'étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu'il avait passé aussi pour moi. Et indifférente en elle-même, leur vieillesse me désolait en m'avertissant des approches de la mienne.»
«Mademoiselle Albertine est partie !» Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! Il y a un instant, en train de m'analyser, j'avais cru que cette séparation sans s'être revus était justement ce que je désirais, et comparant la médiocrité des plaisirs que me donnait Albertine à la richesse des désirs qu'elle me privait de réaliser, je m'étais trouvé subtil, j'avais conclu que je ne voulais plus la voir, que je ne l'aimais plus. Mais ces mots : «Mademoiselle Albertine est partie» venaient de produire dans mon coeur une souffrance telle que je sentais que je ne pourrais pas y résister plus longtemps. Ainsi ce que j'avais cru n'être rien pour moi, c'était tout simplement toute ma vie.
1898 : en pleine affaire Dreyfus, le Paris fin-de-siècle se divise ; mais c'est un tout autre enjeu qui se trame dans la cour d'un hôtel particulier. La parade amoureuse de Charlus et Jupien - un bourdon autour d'une fleur - révèle au Narrateur la «race maudite» des «hommes-femmes», survivants de Sodome et Gomorrhe. Narrateur et lecteurs deviennent voyeurs. Ainsi, dans cette après-midi printanière, nous sommes bien loin du charme bucolique de Combray et des intermittences du coeur : l'âge adulte et le trouble des désirs émergent brutalement. Honteuse ou heureuse, «l'inversion» inquiète le Narrateur. Albertine lui est-elle acquise ?Mais l'écume des choses n'est rien à côté du chagrin retrouvé au souvenir de la mort de sa grand-mère. Quelles traces laisser, comment se survivre à soi-même ? Dans ce théâtre mondain et politique, la société est, sans le savoir, en pleine transformation.Dernier volume publié du vivant de Proust, Sodome et Gomorrhe est une prouesse de lucidité, d'audace et de modernité sur la société et sur l'individu. Progrès techniques et troubles du genre annoncent un monde nouveau, qui est déjà le nôtre.
Ce court roman (deuxième partie de Du côté de chez Swann) contient tout ce qu'on aime lire : une peinture sociale, celle de l'immortel clan Verdurin et du cercle aristocratique de Mme de Saint-Euverte, dans les années 1880 ; une histoire d'amour et de jalousie, mettant en scène un dandy et une courtisane ; des réflexions sur l'art (peinture et musique) ; le comique et le tragique ; le passage du temps et le phénomène de mémoire involontaire ; enfin, un récit tout en analyse et des dialogues étincelants, et bien souvent hilarants. Proust a mis ici tout ce qu'il pense et sent sur l'amour. Roman qui condense toute la Recherche, confession intime cryptée, Un amour de Swann est un chef-d'oeuvre dont le sens est caché sous de multiples enveloppes, métamorphoses, synthèses et fusions - profondeur que n'épuise jamais la lecture.
«Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue, Albertine continuait de dormir. Je pouvais prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s'arrête pas, comme une bête qui continue de vivre quelque position qu'on lui donne, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu'on lui donne. Seul son souffle était modifié par chacun de mes attouchements, comme si elle eût été un instrument dont j'eusse joué et à qui je faisais exécuter des modulations en tirant de l'une, puis de l'autre de ses cordes, des notes différentes.»
Pour un nombre considérable de lecteurs, À la recherche du temps perdu est une oeuvre à part, la référence, le Livre. Au catalogue de la Pléiade, le coffret réunissant ses quatre volumes fait figure de navire amiral. L'établissement du texte, l'appareil critique, les Esquisses qui révèlent le roman en formation rendent cette édition irremplaçable. Selon toute vraisemblance, ce n'est que par crainte de devoir acquitter un supplément de bagage que les voyageurs ne l'emportent pas plus souvent sur l'île déserte.À l'occasion du centième anniversaire de la mort de Proust, la Pléiade propose à titre exceptionnel, et à tirage limité, le texte de la Recherche, intégral et nu (les notes et les Esquisses restant l'apanage de l'édition en quatre volumes), en deux tomes d'environ 1500 pages chacun. Ce tirage satisfera les globe-trotters, sans leur être réservé. Les sédentaires le placeront près de leur fauteuil. Les promeneurs le glisseront dans leurs poches. Toute table de chevet pourra l'accueillir. Une oeuvre-monde, toujours à portée de main, explorable à l'infini.
En 1971, la Pléiade publiait «Contre Sainte-Beuve» précédé de «Pastiches et mélanges» et suivi de «Essais et articles». L'édition qui paraît aujourd'hui est dotée d'un sommaire considérablement enrichi et d'un titre qui témoigne de ses intentions. Exit le triple intitulé dominé par le massif central du Contre Sainte-Beuve. Choisir le titre Essais, c'est reconnaître à la fois l'unité et l'incertitude générique de l'oeuvre de Proust.Comme le souligne Antoine Compagnon, Proust fut toujours partagé, dans son désir d'écrire, entre narration et réflexion. Son roman est riche de développements critiques. Son oeuvre de réflexion connaît des développements romanesques. Son projet sur Sainte-Beuve, il le qualifie d'«essai», terme qui s'appliquait à des textes à la composition très libre. À preuve, la définition que le critique du Figaro, André Beaunier, donne de «Sur la lecture», préface de Proust à Sésame et les lys de Ruskin (1906) : «un essai original, et délicieux, émouvant, plaisant, gai parmi les larmes, mélancolique avec discrétion ; les souvenirs s'y mêlent aux rêveries, la fantaisie à la réalité, comme dans l'âme d'un philosophe très sensible». Des lignes qui annoncent l'expérience unique qu'offre la lecture des essais de Proust.Incertitude générique, donc : les Pastiches et mélanges reprennent en 1919 «Sur la lecture» et d'autres essais essentiels, mais aussi les pastiches de «l'affaire Lemoine», cette «critique en action» dans laquelle le récit a toute sa place. Et Contre Sainte-Beuve est certes un essai, mais narratif : c'est au cours d'une conversation avec sa mère que l'auteur entend critiquer la méthode de Sainte-Beuve. Mais voici que surgissent des personnages, Swann, les Guermantes, un Montargis au profil de Saint-Loup, un Guercy qui annonce Charlus. Ces développements romanesques constituent un nouveau départ pour le roman que l'on sait. Ils signent aussi la fin du projet Sainte-Beuve et expliquent pourquoi Contre Sainte-Beuve n'existe que dans l'idée qu'on s'en fait. Dans sa première édition (1954), le livre comportait des chapitres romanesques. Dans la seconde (1971), seules étaient retenues les pages critiques. On propose ici un «Dossier du Contre Sainte-Beuve», titre et dispositif plus conformes aux manuscrits conservés.Quant aux nombreux essais - critiques, études, chroniques, entretiens ou amples analyses -, ici plus nombreux que jamais, parus dans les revues et journaux du temps et non recueillis par Proust, ou encore révélés après sa mort, ils témoignent de l'ambition littéraire la plus haute et sont l'accompagnement obligé de la Recherche.
«Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais-je, quel labeur devant lui ! Pour en donner une idée, c'est aux arts les plus élevés et les plus différents qu'il faudrait emprunter des comparaisons ; car cet écrivain, qui d'ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées, pour montrer son volume, devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l'accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n'ont probablement leur explication que dans d'autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l'art. Et dans ces grands livres-là, il y a des parties qui n'ont eu le temps que d'être esquissées et qui ne seront sans doute jamais finies, à cause de l'ampleur même du plan de l'architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées !» Marcel Proust, Le Temps retrouvé.
Cette édition d'À la recherche du temps perdu présente l'oeuvre de Marcel Proust sous un jour entièrement nouveau. Les trente ans qui nous séparent de l'édition précédente ont permis de connaître un ensemble de documents uniques au monde, et que nous sommes seuls à pouvoir offrir au lecteur. Ainsi, dans ce volume, à la suite de Du côté de chez Swann et de la première partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs, on lira un choix très large d'esquisses tirées des cahiers de brouillon qui donnèrent naissance au texte définitif, seul connu du public jusqu'à ce jour : quatre cents pages, qui ont déjà la beauté de l'oeuvre achevée mais gardent le charme propre aux commencements, et font découvrir de nombreux faits, de nombreuses idées, de nombreux personnages inconnus. Ces inédits et ceux que l'on trouvera dans les variantes du volume composent une véritable biographie littéraire. Au service de ce dessein, un appareil critique réunit la documentation la plus complète possible et permet de comprendre les allusions les plus énigmatiques. Le texte lui-même a été réétabli grâce à des documents dont nous disposions pour la première fois : il est désormais plus proche de ce que souhaitait son auteur. Roman comique, roman tragique, roman d'aventures, roman érotique, roman poétique, roman onirique, roman d'une expérience unique, somme de tous les romans et de deux mille ans de littérature, À la recherche du temps perdu est devenu un monument historique. Mais c'est un monument encore habité.
Avant d'être le génial auteur de la Recherche, Proust écrivit des nouvelles inspirées de sa jeunesse dans les salons mondains, entre découverte du désir et amour qui fuit, frivolité et profondeur, apparence et rivalité. C'est là qu'il met à l'épreuve son style, ses images, ses intuitions. Ce sera, en 1896, Les Plaisirs et les Jours. Mais peu avant la publication du recueil, Proust choisit d'en retirer quelques nouvelles, qui restèrent secrètes durant plus d'un siècle. Était-ce parce qu'il s'y confiait, presque sans dissimulation, sur son homosexualité, vécue comme une malédiction ? Voici ces textes, fragiles, imparfaits, inaboutis, qui auraient si bien pu ne pas nous parvenir, et pour cela si émouvants. On y lit, en miniature, toutes les obsessions qui seront celles de la Recherche : l'amour malheureux, la fuite du temps, la satire sociale. En une phrase, une fulgurance, le futur Proust est déjà là. En nous faisant entrer comme jamais dans sa conscience, Proust nous ouvre son atelier de travail, son secret laboratoire, et le journal intime qu'il n'a pas écrit.
Suivi de : « Aux sources de la Recherche du temps perdu », notes de travail de Proust.
Philippe Delerm nous offre une merveilleuse plongée dans À la recherche du temps perdu, oeuvre qui l'a nourri et a contribué à façonner l'écrivain qu'il est devenu. À travers soixante extraits de son choix qu'il commente d'un ton à la fois amusé et profondément admiratif, se révèlent autant d'instantanés exhalant toute la saveur et la richesse de l'oeuvre proustienne. L'image du roman fleuve intimidant et hors d'atteinte laisse alors place à des trésors d'humour, de tendresse et d'irrévérence : un Proust sensible et inattendu, qui donne envie de se plonger avec délectation dans La Recherche !
« S'arrêter çà et là tout en suivant le fil du texte aux endroits que l'on préfère ne paraît pas antinomique avec le projet proustien. C'est même une manière de mettre en relief la modernité de Proust ».
Philippe Delerm
Ce volume contient la deuxième partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs, «Noms de pays : le pays» et Le Côté de Guermantes. Il marque ainsi le passage de la rêverie au réel. «Noms de pays : le pays » fait écho à «Noms de pays : le nom» et affronte à la poésie du nom de Balbec la réalité du lieu, comme Le Côté de Guermantes dévoile les Guermantes-personnages après que le narrateur a rêvé sur Guermantes-nom de personne. C'est à Balbec qu'apparaît la petite bande des jeunes filles pour qui le héros éprouve un amour «indivis», avant qu'Albertine ne vienne rompre, en émergeant du groupe, la cohésion où se neutralisaient «les diverses ondes sentimentales» que propageaient les jeunes filles. À Balbec que le narrateur rencontre le peintre Elstir, dont la conversation se fait leçon : d'où naît un nouveau pouvoir de regarder, une façon nouvelle de voir, grâce à cette métamorphose qu'est l'art, la beauté des choses là où il était impossible d'imaginer qu'elle fût. À Balbec encore que se dessinent les figures de Mme de Villeparisis, de Robert de Saint-Loup, du baron de Charlus, que Le Côté de Guermantes replacera dans leur contexte social et qui, avec d'autres, feront de cette partie d'À la recherche du temps perdu le roman de l'aristocratie, comme Du côté de chez Swann était celui de la bourgeoisie ; temps et lieu de la mort de l'enfance et de l'oubli de l'art - ramené à quelques apparitions mondaines -, Le Côté de Guermantes voit s'effacer, dans la mort, la maladie ou l'absence, les personnages combraysiens et s'ouvrir devant le narrateur ce monde neuf - le Monde - où s'abîment les illusions. On découvrira, à la suite des textes et sur plus de 400 pages, les versions primitives de «Noms de pays : le pays» et du Côté de Guermantes. Leur intérêt et leur richesse ne sont plus à démontrer. Il n'est que de rappeler la réponse d'Elstir à son jeune visiteur admirant une de ses toiles, Le Port de Carquehuit : «J'ai fait une petite esquisse où on voit bien mieux la cernure de la plage. Le tableau n'est pas trop mal, mais c'est autre chose.»
« Il aime les femmes ignobles qu'on ramasse dans la boue et il les aime follement ; [...] et non seulement il les aime follement, mais il n'aime qu'elles. La femme du monde la plus ravissante, la jeune fille la plus idéale lui est absolument indifférente. » Marcel Proust décline dans ce recueil les motifs qui lui sont chers : charmes et illusions de l'amour, splendeurs et misères des mondanités, nature fantasmée, nostalgie.
Quatre trésors indispensables pour qui cherche à lire ou relire À la recherche du temps perdu.
Deuxième partie de Du côté de chez Swann, paru en 1913 et parfois pris à tort pour le volume inaugural d'À la recherche du temps perdu, Un amour de Swann s'est imposé dans la seconde moitié du XXe siècle comme une oeuvre à part entière. Proust, qui avait lui-même qualifié ce chapitre de « plus public » que « Combray », y raconte l'histoire d'amour ternie par la souffrance et la jalousie de Charles Swann et d'Odette de Crécy. D'abord indifférent à l'égard de celle que le grand monde voit comme une « cocotte », Swann finit par s'éprendre d'Odette jusqu'à l'obsession et connaître les plus sombres tourments de l'amour malheureux. Dans ces pages où la justesse du propos et la finesse des analyses ne manquent pas de surprendre, Proust esquisse derrière le personnage de Swann un double de son narrateur, mais nous livre aussi une profonde réflexion sur le sentiment amoureux, le désir, la jalousie, non sans rayer la société bourgeoise de son époque.
Édition de Matthieu Vernet et Francesca Lorandini.
Vaste continent à explorer, la correspondance de Proust constitue un pont vital entre sa forteresse intime et la vie extérieure. Oscillant entre conversations mondaines et introspections profondes, ses lettres racontent la vie d'un écrivain qui a su faire de la faiblesse une vocation littéraire sans pareille et de la maladie une ressource de génie.
Graal proustien, les «soixante-quinze feuillets» de très grand format étaient devenus légendaires. La seule trace qui en existait était l'allusion qu'y faisait Bernard de Fallois, en 1954, dans la préface du Contre Sainte-Beuve. En 1962, ils n'avaient pas rejoint la Bibliothèque nationale avec le reste des manuscrits de l'auteur de Swann. Leur réapparition en 2018 à la mort de Bernard de Fallois, après plus d'un demi-siècle de vaines recherches, est un coup de tonnerre.Car les insaisissables «soixante-quinze feuillets» de 1908 sont une pièce essentielle du puzzle. Bien antérieurs au Contre Sainte-Beuve, ils ne font pas que nous livrer la plus ancienne version d'À la recherche du temps perdu. Par les clés de lecture que l'écrivain y a comme oubliées, ils donnent accès à la crypte proustienne primitive. «Un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés», lit-on dans Le Temps retrouvé : mais ici, le temps n'a pas encore effacé tous les noms.
Seul inédit de Proust qui ne soit pas un montage artificiel de manuscrits d'époques différentes, il constitue un texte romanesque abouti, continu et cohérent, mûrement élaboré par l'auteur.
Contraint de couper ce volume initial, Proust écarte de nombreux passages ici restitués et connus jusque-là des seuls spécialistes. Les noms de lieux et de personnages diffèrent : Balbec n'est encore que Bricquebec, Charlus s'appelle Fleurus et Norpois, Montfort. Odette n'a pas de passé niçois, Swann connaît moins la jalousie. Le séjour à la mer est plus court, et les jeunes filles en sont absentes, ce qui donne au héros une personnalité plus homogène.
Dans sa présentation, Jean-Marc Quaranta précise les enjeux littéraires du Temps perdu. Cette édition met aussi en lumière le travail de Proust en distinguant la part inédite de celle qu'il a conservée. Elle indique en notes les évolutions de l'oeuvre les plus significatives. Enfin, un dossier présente divers documents qui éclairent le projet originel du romancier, ainsi que les circonstances du refus de son manuscrit, les démarches qu'il entreprit pour le faire publier et le travail de refonte auquel il dut procéder, véritable cours de création littéraire.
Un homme expulsé de lui-même, réfugié dans son oeuvre, métamorphosé en roman ; un roman en perpétuelle mutation, en vie, toujours plus autre et toujours plus lui-même ; un extraordinaire travail de la mémoire - et de l'imaginaire - à la recherche des paradis perdus, qui sont les seuls vrais paradis ; un art qui fait oublier l'art ; une oeuvre d'art et une théorie de l'art ; et finalement le rêve d'une synthèse de tous les arts : À la recherche du temps perdu est tout cela, et encore ceci : la recréation d'un univers, distinct du monde réel, non littéraire, qui lui a donné naissance, mais vivant en nous et survivant, une fois refermé le livre, en d'infinis échos. Jacques Copeau, devant des épreuves corrigées par Proust, s'écriait : «Mais c'est un nouveau livre !» C'est que, en vivant, en transformant en aventures la découverte du sens, de l'art et du passé, Proust réinfusait à son texte cette «surnourriture» qui lui donne son incomparable richesse et fait que la Recherche s'égale, selon l'expression de Jean-Yves Tadié, à «la somme de ses états successifs». D'où la formule de cette édition, aujourd'hui complète puisque vient de paraître le tome IV : elle offre à la fois l'oeuvre et la biographie de l'oeuvre. Le texte définitif du roman est paré de «ce merveilleux vernis qui brille du sacrifice de tout ce qu'on n'a pas dit» (Sésame et les Lys) ; mais les brouillons de Proust sont également là, nous donnant ce privilège, nouveau, d'accompagner l'auteur dans sa descente vers toujours plus de profondeur. La présente édition, qui se veut la meilleure exposition possible des textes de Proust, ouvre aussi toutes grandes les portes de l'atelier de l'artiste, un atelier semblable à celui d'Elstir, tapissé d'esquisses. Comme le romancier en jetant sur son ouvrage un regard rétrospectif lui confère son unité, le lecteur, qui peut envisager l'oeuvre dans tout son relief, dispose désormais des éléments nécessaires, depuis les cryptes jusqu'à la flèche, pour reconstruire la cathédrale.
Texte antérieur à l'écriture de la Recherche, Journées de lecture fut composé, dans sa première version, comme une préface à un ouvrage de l'auteur anglais John Ruskin. Y éclôt toutefois une poétique infiniment singulière, Marcel Proust esquissant là sa propre conception de l'expérience de lecture, et avec elle, déjà, de celle du temps qui passe. «Ce qui diffère essentiellement entre un livre et un ami, ce n'est pas leur plus ou moins grande sagesse, mais la manière dont on communique avec eux...»
Ce volume contient Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière et près de trois cents pages d'Esquisses relatives à ces deux textes. Annonçant en 1920 la publication du Côté de Guermantes au critique du Temps, Proust écrivait : «C'est encore un livre convenable. Après celui-là, cela va se gâter sans qu'il y ait de ma faute. Mes personnages ne tournent pas bien ; je suis obligé de les suivre là où me mène leur défaut ou leur vice aggravé.» De fait, Sodome et Gomorrhe ne passa pas pour un livre «convenable». Mais au-delà du scandale, sa réussite repose sur sa structure : comme souvent dans À la recherche du temps perdu, deux côtés opposés, en apparence incompatibles, vont se rejoindre, puis se confondre. Les Esquisses présentées dans ce volume montrent comment le violoniste Morel devint peu à peu un double d'Albertine. Sous l'égide de Baudelaire - qui fut fasciné par les lesbiennes et dont Proust ne doutait pas qu'il eût pratiqué l'homosexualité - et en contradiction avec le vers de Vigny - «La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome» - sur quoi s'ouvre le volume, ces deux personnages relient les deux côtés et confèrent ainsi à la vision proustienne de l'inversion toute son originalité. Sodome et Gomorrhe commence par une révélation. La Prisonnière est la quête d'un impossible bonheur, d'une illusoire sécurité, d'un savoir toujours fuyant. Albertine est prisonnière du narrateur, mais non pas son secret. Le récit se fait l'écho de l'ambiguïté de la relation de Proust à la connaissance. On n'aime jamais que ce qu'on ne possède pas, et le besoin du mystère vient se heurter à celui de la sécurité : entre crainte et désir du réel, entre curiosité et habitude, se joue devant nous la tragicomédie d'un couple qui n'existe sans doute que par ces tierces personnes, aussi nécessaires que dangereuses, dont la présence n'est jamais aussi sensible que lorsqu'elles sont ailleurs. La Prisonnière, texte publié posthume et ici entièrement réétabli, est le lieu d'une quête jamais achevée de la vérité ; c'est également celui du rougeoyant Septuor de Vinteuil qui offrira cette leçon grosse de promesses : l'art n'est peut-être pas aussi vain et irréel que la vie.
Voici la correspondance inédite et inconnue de Marcel Proust avec son camarade et ami du lycée Condorcet Horace Finaly. Directeur général de la Banque de Paris et des Pays-Bas, cet homme d'une haute culture qui passait pour savoir Homère et Dante par coeur fut aussi un grand banquier de gauche de la III? République.Le coeur de cette correspondance est la tragi-comédie que vit Marcel avec son secrétaire et ami Henri Rochat, ancien serveur du Ritz. Proust souhaite se débarrasser d'un jeune homme qui a vécu presque trois ans chez lui, de 1919 à 1921, et dont les frasques lui coûtent cher. Il a recours à Horace Finaly pour expédier à Recife cet autre modèle d'Albertine. Employé dans une agence de la banque, le jeune homme s'y comportera fort mal, malgré les envois d'argent de l'auteur. Il mourra quelques années plus tard, sans doute de maladie, au cours d'une excursion dans le nord du Brésil.Ce volume, qui révèle la sensibilité, la drôlerie et la complexité de Proust, est établi et présenté par Thierry Laget, romancier, auteur de Proust, prix Goncourt, et par Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires.